Mandat d’arrêt européen : nouvel éclairage de la CJUE

Publié le : 15/03/2023 15 mars mars 03 2023

C’est à l’occasion d’un renvoi préjudiciel, opéré par l’Espagne à la CJUE, que les juges du Luxembourg ont eu le loisir d’apporter dans un arrêt du 31 janvier 2023 un nouvel éclairage sur le mandat d’arrêt européen (ci-après MAE) dans le sens d’un renforcement de la coopération judiciaire en matière pénale

La question, ayant trait à l’interprétation de la décision-cadre 2002/584/JAI du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres a été posée par la Cour suprême espagnole après que cette dernière ait émis des mandats d’arrêts européens contre d’anciens dirigeants catalans en fuite. 

Ces derniers étaient à l’origine du référendum d’auto-détermination de la Catalogne de 2017.

Si quelques mandats d’arrêts ont dû être suspendus consécutivement à l’acquisition par certains d’entre eux de la qualité de membres du Parlement européen tel Monsieur Puigdemont, d’autres couraient toujours et notamment celui délivré à l’encontre de Monsieur Puig Gordi.  

La Cour suprême espagnole s’est vue opposer un refus par les autorités belges, après que celles-ci aient estimé qu’elle n’était pas compétente pour émettre ce MAE et  pour connaître des poursuites pénales contre Monsieur Puig Gordi. 

Concernant ce dernier point, les autorités belges ont considéré que la compétence de la Cour suprême espagnole pour juger Monsieur Puig Gordi ne reposait sur aucune base légale expresse et en ont déduit que l’exécution du MAE émis contre lui mettrait en péril ses droits fondamentaux dont le droit à un procès équitable. 

Les autorités belges se sont basées sur la notion d’ « autorité judiciaire » ainsi que sur des avis émis par un groupe de travail sur la détention arbitraire (ci-après GTDA). 

Ce refus a donné lieu à un renvoi préjudiciel de la part de la Cour suprême espagnole. 

Dans ce cadre, sept questions ont été posées à la CJUE. 

La CJUE devait dire si l’autorité judiciaire d’exécution pouvait refuser de procéder à la remise de la personne recherchée en se fondant sur des motifs qui ne sont pas expressément prévus par la décision-cadre du 13 juin 2002, en particulier sur l’incompétence de l’autorité judiciaire d’émission, ainsi que sur l’existence d’un risque sérieux de violation des droits fondamentaux dans l’Etat membre d’émission, au regard du droit à un procès équitable. 

La CJUE va estimer que s’il ne revient pas à l’Etat membre d’exécution d’apprécier la compétence de l’autorité judiciaire d’émission en charge de délivrer un MAE, elle retrouve cette faculté pour contrôler la compétence de l’autorité judiciaire d’émission amenée à juger la personne recherchée, particulièrement en présence d’un risque de violation d’un droit fondamental, en l’occurrence le droit à un procès équitable. 

Cependant, l’Etat membre d’exécution doit suivre une méthode bien précise, et ne saurait se livrer à un tel contrôle en dehors de tout cadre, que la CJUE va s’attacher à rappeler.   

Avant de commenter la réponse apportée par la CJUE (II), il convient de rappeler les règles applicables en matière de mandat d’arrêt européen, notamment sous l’angle du droit français (I).

I. Le dispositif légal du mandat d’arrêt européen

Aux termes de l’article 1er de la décision-cadre : « Le MAE est une décision judiciaire émise par un Etat membre (appelé Etat membre d’émission), en vue de l’arrestation et de la remise par un autre Etat membre (désigné Etat membre d’exécution) d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté » (article 695-11 du code de procédure pénale (CPP)). 

Selon l’article 2 de cette même décision-cadre, « les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen sur la base du principe de reconnaissance mutuelle », que la CJUE qualifie de « pierre angulaire de la coopération judiciaire ». 

En outre, l’article 6 dispose que « l’autorité judiciaire d’émission est l’autorité judiciaire de l’Etat membre d’émission qui est compétente pour délivrer un MAE en vertu du droit de cet Etat ». 

En France, l’autorité judiciaire compétente pour émettre un MAE, et bien que ce statut ait pu lui être contesté, n’est autre que le ministère public. 

Ce dernier tire sa compétence d’un titre exécutoire émis par la juridiction d’instruction, de jugement ou d’application des peines, à sa demande, voire d’office (article 695-16 du CPP). 

Les faits pouvant donner lieu à l’émission d’un MAE sont listés à l’article 695-12 du code de procédure pénale : 
1° Les faits punis d'une peine privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à un an ou, lorsqu'une condamnation à une peine est intervenue, quand la peine prononcée est égale ou supérieure à quatre mois d'emprisonnement ;
2° Les faits punis d'une mesure de sûreté privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à un an ou, lorsqu'une mesure de sûreté a été infligée, quand la durée à subir est égale ou supérieure à quatre mois de privation de liberté. 


En outre, tout MAE, pour être valable, doit contenir les éléments d’informations suivants, énoncés à l’article 695-13 du code de procédure pénale (et article 8 de la décision-cadre du 13 juin 2002) : 
- l'identité et la nationalité de la personne recherchée ;
- la désignation précise et les coordonnées complètes de l'autorité judiciaire dont il émane ;
- l'indication de l'existence d'un jugement exécutoire, d'un mandat d'arrêt ou de toute autre décision judiciaire ayant la même force selon la législation de l'Etat membre d'émission ; 
- la nature et la qualification juridique de l'infraction, notamment au regard de l'article 694-32 ;

- la date, le lieu et les circonstances dans lesquels l'infraction a été commise ainsi que le degré de participation à celle-ci de la personne recherchée ;
- la peine prononcée, s'il s'agit d'un jugement définitif, ou les peines prévues pour l'infraction par la loi de l'Etat membre d'émission ainsi que, dans la mesure du possible, les autres conséquences de l'infraction.


Si la personne recherchée se trouve en un lieu connu sur le territoire d'un autre État membre, le MAE peut être adressé directement à l'autorité judiciaire par tout moyen laissant une trace écrite dans des conditions permettant à cette autorité d'en vérifier l'authenticité. 

Dans les autres cas, la transmission pourra s'effectuer via le système d'information Schengen ou le système de télécommunication sécurisé du Réseau judiciaire européen mais également, s'il n'est pas possible de recourir à ces systèmes, via Interpol (article 695-15 du CPP).

Le MAE est adressé au procureur général territorialement compétent qui l'exécute après s'être assuré de la régularité de la requête. 

La personne appréhendée doit être conduite devant le procureur général territorialement compétent dans un délai de quarante-huit heures et bénéficie des droits de la personne gardée à vue.

Le procureur général vérifie l'identité de la personne et l'informe, dans une langue qu'elle comprend, de l'existence et du contenu du MAE dont elle fait l'objet. 

La personne est alors remise en liberté ou sur décision du premier président de la cour d'appel ou du magistrat du siège désigné par lui, elle est incarcérée, placée sous contrôle judiciaire ou assignée à résidence avec surveillance électronique en attendant sa comparution devant la chambre de l'instruction (article 695-28 du code de procédure pénale). 

Dans un délai de cinq jours ouvrables à compter de la date de sa présentation au procureur général, la personne comparaît devant la chambre de l’instruction (article 695-29 du code de procédure pénale).

Si elle déclare consentir à sa remise, la chambre de l'instruction rend un arrêt accordant la remise insusceptible de recours.

Si elle déclare ne pas consentir à sa remise, la chambre de l'instruction statue dans le délai de vingt jours à compter de la date de sa comparution. 

Cette décision peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation.

Les cas de refus de remise, facultatifs ou obligatoires, sont mentionnés aux articles 695-22 à 695-24 du code de procédure pénale et ce sont justement ces motifs de refus qui étaient au cœur de la question posée à la CJUE. 

II. Le renforcement de la coopération judiciaire entre états via le mandat d’arrêt européen

La CJUE va rappeler dans l’arrêt du 31 janvier 2023 le principe de confiance mutuelle et de coopération judiciaire entre États membres et que « l’exécution du MAE constitue le principe, tandis que le refus d’exécution est conçu comme une exception devant faire l’objet d’une interprétation stricte ». 

La décision de la CJUE va dans le sens d’un renforcement de la coopération judiciaire entre États via un contrôle rigoureux des conditions dans lesquelles peut intervenir un refus d’exécution d’un MAE. 

Le principe de reconnaissance mutuelle présuppose que le MAE soit émis par une autorité judiciaire au sens où l’entend la CJUE  et dans laquelle elle inclut le ministère public français, depuis une décision en date du 12 décembre 2019. 

Selon la CJUE, les autorités judiciaires d’exécution ne doivent ou ne peuvent refuser d’exécuter un MAE que pour les motifs de non-exécution expressément visés aux articles 3 (non-exécution obligatoire, l’Etat membre d’exécution étant tenu de refuser de remettre la personne recherchée), 4 et 4 bis de la décision-cadre (non-exécution facultative, l’Etat membre d’exécution étant libre d’apprécier l’opportunité de refuser la remise). 

Elle affirme que « ces motifs ont une portée strictement limitée et qu’ils ne permettent de refuser l’exécution d’un MAE qu’à titre exceptionnel ». 

Ceux-ci sont limitativement énumérés et doivent faire l’objet d’un contrôle rigoureux. 

En second lieu, la CJUE estime que l’autorité judiciaire d’exécution ne peut pas contrôler la compétence de l’autorité judiciaire de l’état membre d’émission et refuser son exécution lorsqu’elle estime que tel n’est pas le cas (§89) : les États membres bénéficient d’une certaine autonomie procédurale leur permettant de désigner librement l’autorité judiciaire compétente pour émettre un MAE. 

En troisième lieu, l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter le MAE lorsque cette exécution conduirait à une violation d’un droit fondamental consacré par le droit de l’Union, ainsi qu’en dispose l’article 1er §3 de la décision-cadre du 13 juin 2002: « s’il appartient au premier chef à chaque État membre (…) d’assurer, sous le contrôle ultime de la Cour, la préservation des exigences inhérentes audit droit fondamental, en s’abstenant de toute mesure susceptible d’y porter atteinte, l’existence d’un risque réel que la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen subisse, en cas de remise à l’autorité judiciaire d’émission, une violation du même droit fondamental est susceptible de permettre (…) à l’autorité judiciaire d’exécution de s’abstenir, à titre exceptionnel, de donner suite à ce mandat d’arrêt européen ». 

Mais là aussi, encore faut-il que l’autorité judiciaire d’exécution dispose, pour effectuer ce contrôle, d’éléments pertinents et suffisants, propres à démontrer l’existence d’un risque réel de violation d’un droit fondamental. 

La démonstration d’un risque réel de violation d’un droit fondamental nécessite de faire état « de défaillances systémiques ou généralisées du fonctionnement du système juridictionnel de l’État membre d’émission » et de « vérifier, de manière concrète et précise, si, eu égard à la situation personnelle de cette personne, à la nature de l’infraction pour laquelle cette dernière est poursuivie et au contexte factuel dans lequel l’émission du mandat d’arrêt européen s’inscrit, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que ladite personne courra un tel risque en cas de remise à cet État membre ». 

S’agissant du droit fondamental à un procès équitable, la CJUE rappelle que l’exigence d’un « tribunal établi par la loi » est un présupposé indispensable nécessitant que l’état membre d’exécution procède à un examen en deux temps pour apprécier le risque de violation et vérifier le bien-fondé de l’allégation du requérant selon laquelle il serait amené à être jugé par une juridiction incompétente: 

-    Dans un premier temps, « l’autorité judiciaire d’exécution du mandat d’arrêt européen en question doit déterminer s’il existe des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés tendant à démontrer l’existence d’un risque réel de violation, dans l’État membre d’émission, du droit fondamental à un procès équitable, en particulier lié à une méconnaissance de l’exigence d’un tribunal établi par la loi, en raison de défaillances systémiques ou généralisées dans cet État membre ou de défaillances affectant un groupe objectivement identifiable de personnes auquel appartiendrait la personne concernée » (§102) : c’est le cas du justiciable privé d’une voie de droit effective permettant de contrôler la compétence de la juridiction pénale appelée à les juger,

-    Dans un second temps, « l’autorité judiciaire d’exécution doit vérifier, de manière concrète et précise, dans quelle mesure les défaillances identifiées sont susceptibles d’avoir une incidence sur les procédures auxquelles sera soumise la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen et si, eu égard à la situation personnelle de cette personne, à la nature de l’infraction pour laquelle cette dernière est poursuivie et au contexte factuel dans lequel l’émission de ce mandat d’arrêt européen s’inscrit, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que ladite personne courra un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable ».

Dès lors, le refus d’exécution basé sur le défaut de compétence de la juridiction appelée à juger la personne recherchée ne pourra être prononcé que si l’autorité judiciaire d’exécution conclut à l’existence de telles défaillances dans l’État membre d’émission et à un défaut manifeste de compétence de ladite juridiction (§107).

Ainsi, un rapport du GTDA ne saurait suffire à justifier le refus de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen.

Les autorités belges auraient dû demander des informations complémentaires aux autorités espagnoles pour pouvoir pleinement apprécier un risque de violation d’un droit fondamental.

Par cette décision, la CJUE réaffirme sa volonté de favoriser le dialogue entre États membres ainsi que le sous-tend le principe de coopération judiciaire. 
 

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